Bon, revenons à nos moutons...
La "gestation" avant sa naissance de la future Mark III a duré 3 ans. Je vais donc retracer cette épopée... Comme je l'ai déjà dit, dès le départ, l'idée de Lee Iacocca de reprendre la forme stylisée de la roue de secours sur la malle arrière, était directement inspiré de la Mark II de 1956, elle même inspirée et clin d'oeil au look des anciennes "continental" de la fin des années 30 à 1948. Il demanda aussi de rajouter une calandre style Rolls.
Mais cela ne s'arrête pas là... Les tâtonnements seront nombreux jusqu'à la naissance...
Elle aurait pu s'appeler la Merlin ou la Lancelot ! Eh oui...! Vu que le nouveau modèle était initialement destiné à combler l'écart de prix entre Mercury et Lincoln, Dave Ash a suggéré d'appeler la voiture
Merlin (en fait une contraction de Mercury et Lincoln) qui ferait référence à la fois à la figure de la légende Arthurienne et au très bon moteur d'avion Rolls-Royce de la Première Guerre mondiale. Le "hic" c'est que les dirigeants Lincoln-Mercury n'aimaient pas ce nom... Lorsque le premier modèle en argile fut prêt à la mi-Octobre 1965, il a été surnommé
Lancelot !
En Janvier 1966, la malle arrière "à la Continental" et la grille "Rolls" avaient été ajoutées à la maquette d'argile. Iacocca aimait les résultats, mais E. Bordinat restait mitigé... Cela dit, le président de l'entreprise Henry Ford II était très enthousiaste de cette ébauche. La voiture fut donc approuvé pour la production. La "Lancelot" héritait donc du style de la Mark II avec un faux renflement du pneu de secours sur sa malle de coffre. Signalons au passage que le chef de style et de conception de chez Chrysler (Elwood Engel un ancien concepteur de Lincoln) avait récemment "chipé" cette idée pour le mettre sur le nouveau modèle Imperial de 1964 (V. ci-dessous)
Mais la cerise sur le gâteau était la calandre verticale dans le plus pur style Rolls-Royce qui a coûté à Lincoln-Mercury la somme astronomique (pour l'époque) d'environ 200 $ par voiture soit
10 fois le coût d'une grille ordinaire !
Cependant, le budget de l'ingénierie de la "Lancelot" a été fixé à 30 millions de dollars, un chiffre très modeste en comparaison avec la Mustang qui avait coûté environ 65 millions de dollars. Pour des raisons de coût, la Lancelot s'est appuyé à la fois sur la carrosserie et la mécanique du tout nouveau modèle 1967 de la Ford Thunderbird, (ci-dessous, en version 4 portes et coupé).
Les deux voitures devaient partager le pare-brise, le pavillon de toit, les vitres latérales et même initialement la "Lancelot" devaient utiliser les portes de la Thunderbird mais Ash et Bordinat convainquirent finalement Iacocca d'autoriser un budget supplémentaire pour de nouvelles portes spécifiques à la future Mark III.
Bien que la "Lancelot" a été conçu seulement comme un coupé deux portes, c'est le châssis de la nouvelle Thunderbird quatre portes (et donc l'empattement le plus long) qui a été choisi. Le bénéfice était de permettre à la fois plus d'espace intérieur et un effet visuel de capot très long "long hood" rappelant la Continental Mark II. Les seules différences de châssis entre les deux voitures étaient au niveau du réglage de la suspension... A noter au passage que 1967 fut également le retour en grâce du châssis séparé, isolé de la caisse par de gros silent-blocs boulonnés. Cela n'avait pas été le cas depuis 1958 puisque depuis cette date les grandes Lincoln et les T.Bird étaient des caisses "autoporteuses" ce qui, soit dit en passant, engendrait des "jeux" de carrosserie parfois importants notamment pour les full size sans montant avec par exemple des portières qui se bloquaient (particulièrement celles en vis à vis des cabriolets 4 portes...Histoire vécue avec la Continental convertible '65 d'un ami...!).
D'autres changements également dès la conception de la suspension puisque contrairement aux berlines Continental 1961-1969 qui ont utilisé des ressorts à lames à l'arrière, la Lincoln Continental Mark III (et la Thunderbird sur lequel elle était fondée) ont été gratifiés d'une suspension arrière à trois bras avec ressorts hélicoïdaux et une barre Panhard pour l'emplacement latéral.
Les dimensions de la "Lancelot" a également causé des conflits entres les designers et les ingénieurs de chez Lincoln-Mercury. Ainsi, l'ingénieur en chef Burt Andren était particulièrement mécontent du porte à faux avant prononcé ce qui compliquait l'équilibre de la répartition des masses du véhicule. Andren allé voir Ash et a exigé qu'il réduise l'excédent avant de quatre pouces (102 mm) ce que Ash toujours refusé de faire. Finalement, E. Bordinat trancha en faveur des stylistes permettant la conception d'aller de l'avant sans être inquiété (et c'est tant mieux ! Car plus c'est long plus c'est bon !

). Ci-dessous une photos d'Eugène Bordinat dans son bureau d'étude, défenseur du porte à faux avant de "ouf" de nos Mark III, IV et V...
Les passages de roues évasés et l'utilisation restreinte de garniture chromée ont allégé visuellement la voiture mais au premier coup d'oeil, tout le monde savait que c'était une voiture de luxe. Notez également les ailes "en fer de lance" de la Mark III, afin de donner à sa fidèle clientèle un sentiment de continuité de style avec les berlines Continental.
Un intérieur très "cosy" :
Afin de préserver la tranquillité des occupants du monde extérieur, les concepteurs de la future Mark III les ont isolé par plus de 150 lb (68 kg) d'insonorisant. Il y eu également une volonté affirmée pour créer une ambiance intérieur rappelant le chic des clubs Anglais et en particulier avec de la sellerie en cuir (option) et un usage intensif de garnitures en bois, bien que dans la mode américaine typique de l'époque elles étaient en plastique (remplacé tout de même par du vrai noyer en 1970 et 1971). En 1968-1969 les clients avaient le choix entre deux grains de faux bois différents: "palissandre indien" et "chêne anglais». Peu de temps après l'introduction, il y eu également un tableau de bord avec la fameuse horloge Cartier, marquée par des chiffres romains. Les sièges avant séparés étaient standard, ainsi que des équipements des Lincoln traditionnelles comme les lampes de lecture à l'arrière, les vitres électriques, les accoudoirs centraux repliables avant et arrière. Lincoln a également emprunté le concept de la "console de toit" de la Thunderbird et placé certains interrupteurs comme les feux de détresse au-dessus du pare-brise dans la zone située entre les 2 pares-soleil. En fait, le tableau de bord de la Mark III était une version revisitée de celui de la T-Bird, utilisant la même architecture de base au niveau de l'emplacement des jauges sauf que dans la Mark III ils étaient de forme carrés et ronds dans la T.Bird, mais la plupart des contrôles ont été placés au même endroit à quelques exceptions près.
Au final, l'intérieur de la Mark III sembla plus riche que celle de l'Eldorado, sa concurrente contemporaine, qui paraîtra pour le coup relativement spartiate en comparaison.
Comme le développement de la nouvelle voiture allait bon train, lui trouver un nom définitif était devenu un problème pressant. Or, la voiture montrait une parenté de conception évidente avec la Mark II et par conséquent, probablement Lee Iacocca (bien que certaines sources disent que c'était Henry Ford II), suggéra la relance de la désignation "Continental Mark". Logiquement, cela aurait dû être la nouvelle Mark VI, mais personne à la direction de Ford n'avait été particulièrement friands des années modèles "Mark" entre 1958-1960 qui, il faut bien appeler un chat un chat, avait peu de rapport avec leurs 2 prédécesseurs glamour (la Mark I et II). Le nouveau modèle a donc été surnommé Lincoln Continental Mark III comme pour effacer de la mémoire collective les Mark III, IV, V des années 1958, 1959, 1960...!
Ressusciter le nom "Mark" était une décision intéressante. L'échec commercial de la Mark II à peine une décennie après sa disparition, était apparemment devenu acceptable pour les dirigeants de Ford. D'autre part, l'échec commercial de la Cadillac Eldorado Brougham contemporaine et concurrente de la Mark II n'avait pas dissuadé Cadillac d'abandonner le nom d'Eldorado ni de l'appliquer à leur nouveau coupé de luxe "personnalisé", lancé à la fin de 1966 comme modèle 1967.
Cette toute nouvelle Cadillac Eldorado a eu un impact certain sur les plans de Lincoln-Mercury pour la Continental Mark III. Vers la fin de son développement, la division a décidé qu'au lieu d'être une rivale à la Thunderbird positionné entre Mercury et Lincoln, la nouvelle Mark serait un modèle haut de gamme de prestige au sein de la marque Lincoln et une concurrente directe à la nouvelle Cadillac traction avant, l'Eldorado.
La bataille entre l'Eldorado Brougham et la Mark II 10 ans plus tôt n'avait pas été concluante. Par conséquent, l'affrontement imminent entre la future Mark III et ce nouveau coupé Eldorado "sonnait" comme une revanche et l'ouverture d'un nouveau front dans la bataille commercial entre Ford et GM pour imposer sur ce segment de marché leurs "luxury personal cars" respectifs.